Tout a commencé avec un van que personne ne voulait. Garé depuis des années derrière un garage à Mapo, les pneus à plat, les vitres embuées, le moteur mort. Pour la plupart, c’était de la ferraille. Mais pour Ji-ho, 28 ans, c’était de l’espace. Pas un entrepôt. Pas une voiture en chantier. De l’espace — pour construire quelque chose qui compte.
Six mois plus tard, ce même van stationnait dans un parc du quartier, son toit ouvert comme une fleur, proposant des lattes au lait d’avoine servis depuis un comptoir en bois fait main.
Un tableau noir indiquait : « Un livre échangé = un café à moitié prix ». Des enfants feuilletaient des romans empilés à l’intérieur, tandis que leurs parents sirotaient leur boisson sous une guirlande lumineuse.
Ce n’est pas un cas isolé. À Séoul, un mouvement discret transforme des SUV hors d’usage et de vieux fourgons en lieux sociaux mobiles — cafés ambulants, bibliothèques éphémères, voire mini-galeries d’art. Ils ne sont ni dans des allées privées ni à la casse. On les trouve sur les trottoirs, dans les parcs, près des sorties de métro, là où les gens se croisent. Et ils redéfinissent ce qu’on peut faire d’un véhicule… quand on ne conduit pas.
<h3>Du rebut au lieu ouvert</h3>
Il ne s’agit pas de food trucks aux comptoirs inox et autorisations officielles. Ce sont des projets spontanés, souvent montés à la main avec des matériaux récupérés. L’objectif ? Pas le profit. La présence. Créer des pauses dans une ville qui ne ralentit jamais.
Le processus commence presque toujours pareil : quelqu’un déniche un SUV bon marché, voire gratuit, dont le moteur est rouillé mais la structure solide. Il retire les sièges arrière, renforce le toit et installe un hayon escamotable qui s’ouvre vers le ciel. À l’intérieur, il aménage un espace modulable — étagères coulissantes pour livres, bouilloires électriques compactes, tables pliantes. Des panneaux solaires alimentent de petites batteries pour l’éclairage et la musique. Certains sont isolés pour l’hiver ; d’autres ont des auvents rétractables pour l’été.
Ce qui rend ces véhicules spéciaux, ce n’est pas la technologie, mais leur accessibilité. Pas de loyer commercial. Pas de conflit d’urbanisme. Pas besoin de prévoir les flux de passants. Juste une bouilloire, une échelle… et une idée.
Un fourgon à Seongbuk-dong fonctionne comme une « bibliothèque roulante ». Il transporte environ 200 livres, surtout des romans, poésies et albums pour enfants donnés par des particuliers. Les usagers peuvent échanger un livre contre un autre, ou en emprunter un gratuitement s’ils promettent de le rapporter après lecture. Le week-end, la propriétaire anime des séances de lecture de 15 minutes pour les enfants. « Ce n’est pas question d’agrandir une bibliothèque, explique-t-elle. C’est de rendre la lecture légère, simple, inattendue. »
Un autre, à Hongdae, propose un café « lent » — sans Wi-Fi, sans menu affiché, seulement deux types de café filtre, et une règle : il faut s’asseoir et parler à quelqu’un pendant qu’on boit. « Les gens arrivent stressés, le téléphone à la main », raconte le barista. « Quand ils repartent, ils ont rencontré un voisin. C’est ça, l’objectif. »
<h3>Pourquoi maintenant ?</h3>
Séoul est dense, rapide, chère. Le loyer pour un petit local café peut dépasser 2 000 dollars par mois — inaccessible pour beaucoup de jeunes créatifs. Parallèlement, la possession de voiture diminue chez les moins de 35 ans. Pour eux, un véhicule n’est plus un symbole de statut, mais une dépense coûteuse et peu utilisée.
Transformer un SUV abandonné inverse cette logique. Pour moins de 1 500 dollars, on peut acheter, vider et aménager un véhicule en micro-espace fonctionnel. Pas de prêt. Pas d’investisseur. Pas de bail. Et grâce à sa mobilité, on n’est pas coincé dans un seul quartier. On suit les flux, on teste des coins de ville, ou on s’installe là où on est le plus utile.
Les urbanistes ont remarqué. La ville a mis en place des permis à bas coût pour les projets mobiles à but non lucratif, en exonérant les frais pour les véhicules dédiés à l’éducation, à l’art ou au service public. Certains arrondissements accordent même la priorité de stationnement aux « vans à impact social » dans les parkings publics.
<h3>Plus qu’une mode</h3>
Ce qui émerge n’est pas juste une tendance DIY. C’est une nouvelle forme de bien commun, qui valorise la réutilisation, l’accès et la communauté plutôt que la propriété ou la taille.
Certains propriétaires changent de quartier chaque semaine, tissant des liens locaux. D’autres collaborent avec des écoles ou des centres d’hébergement, offrant livres gratuits ou café chaud en hiver. Quelques-uns organisent des ateliers pour apprendre aux jeunes à transformer des véhicules en toute sécurité et avec créativité.
Les règles sont informelles mais claires : restez propres, restez ouverts, ne monétisez pas l’expérience. « L’argent change tout », disent-ils. Dès qu’on cherche à maximiser les profits, on perd le sens.
Et les véhicules ? Ils vieillissent avec caractère. Les rayures racontent des histoires. Les planches de bois inégales montrent où un ami a aidé. Une aile cabossée devient un bac à herbes aromatiques.
La prochaine fois que tu croiseras un van d’où débordent des livres ou d’où s’échappe de la vapeur venant d’un toit, n’effleure pas du regard et continue ton chemin. Monte. Prends un livre. Goûte une boisson. Dis bonjour.
Parce qu’en ville, là où tout va vite, ces espaces discrets et recyclés nous rappellent que les choses les plus précieuses ne s’achètent pas ni ne se construisent en grand — elles se partagent, doucement, un petit moment à la fois. Et parfois, tout commence par un toit qui s’ouvre.